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Philippe Starck : Cette maison-là c’est un petit peu la maison schématique de l’enfance que je n’ai pas eu, c’est à dire que je dois sûrement régresser, ou alors j’ai atteint peut-être, l’inconscient collectif. Cette maison-là c’est directement issu des tests qu’on faisait étant petit à l’école où on descendait dans la rue on allait voir les gens, on leur disait « - Quelle est la couleur ? », ils disent « - Rouge. - Quel est l’instrument de musique ? - La trompette. - Quel est l’outil ? - C’est le marteau. Quel est l’animal? - C’est le lion. » Et évidemment si on demandait « - Quelle est LA maison ? », ils dessineraient cette maison schématique où il y a les 4 pentes : c’est la maison enfantine. L’important pour nous c’est de multiplier les moyens de s’approprier le mieux la maison. Alors il faut qu’il y ait un toit, et pour soutenir un toit, il faut qu’il y ait des colonnes, alors cette maison a seize colonnes. Alors on a fait exprès (c’est une idée de Patrick Bouchain qui est excellente) de prendre des troncs bruts pour que les gens la touche. Moi, celle que j’ai faite en premier : j’ai acheté des gouges à bois, des ciseaux à bois et j’ai commencé à la sculpter. J’ai fait ma colonne, mon totem et ma fiancée va en faire une autre et ma fille va en faire une autre et comme il y en a beaucoup, tous mes amis vont en faire et quand ils vont arriver dans cette maison ça sera pas la maison d’un ami, ça sera déjà aussi leur maison parce que la maison où ils vont passer le week-end, quelques jours, a déjà quelque chose d’eux.

 

Patrick Bouchain : Ce que j’aime chez Philippe, c’est cette façon simple de décrire les choses et que le moindre petit dessin qu’il fait, l’essentiel y étant, on a envie de le construire et quand on raisonne comme ça, tout est simple. On sait qu’on aime un pull en laine parce qu’il est chaud et qu’il ne gratte pas. Et bien, il a imaginé cette maison de telle façon qui est « je décris ce que je veux par rapport à ce que j’ai vu », car il est bien nourri de ce qu’il a vu. C’est réellement une maison imaginée par un contemporain, produit par des entreprises contemporaines dans le temps réel avec les objets et les matériaux qui existent sur le marché.

 

Philippe Starck : Cette maison a été faite pour qu’il y ait une cellule centrale, la cellule dont on est sûr, mais que le auvent avec le corridor tout autour fasse déjà le plafond et le plancher. Autrement dit comme cette maison est symétrique, si j’ai besoin, si j’ai un autre enfant, quasiment en 48 h, je fais la chambre et la salle de bain, si j’ai besoin d’un bureau…Autrement dit cette cellule est faite pour être autrement agrandissable. Aujourd’hui si vous regardez les maisons, 90%, sauf quelques petites maisons paysannes planquées au fond d’une forêt ne sont pas là pour le plaisir de l’habitant, elles sont là pour montrer. C’est à dire qu’on a travaillé toute sa vie, on a fait ses économies et dés qu’on a construit son nid, ça ne va pas devenir un nid mais une arme pour écraser le voisin, pour le mépriser, lui montrer qu’on a bien réussi dans la vie : « Regarde, toi tu es dans une cabane, moi je suis dans un château ! ». Et l’architecture française est ça : nous sommes tous des Louis XIV. Depuis que le prototype est fini les gens disent : « C’est un pavillon chinois ! », oui, pourquoi pas. « C’est une isba russe ?! », oui, évidemment. « C’est complètement une maison californienne. » Sûrement. « Le ravissant petit pavillon de chasse, on pourrait le croire au fin fond du château de Versailles ? », oui, bien sûr. Et tout le monde y trouve sa maison et ça c’est vital, comme il faut trouver son lieu, comme il faut trouver l’amour de sa vie, comme il faut trouver son « son », comme il est souhaitable de trouver son tableau, son image et bien il faut trouver sa maison à soi. Ce moyen de faire connaître mon expérience, mon aventure pour ma maison et pour la maison de tout le monde, ce que j’espère être la bonne maison, c’était évidemment les 3 SUISSES, autrement dit la vente par correspondance, autrement dit un vecteur populaire dans le sens noble, quelque chose qui est lu par la quasi totalité des français. Moi je parle d’une maison qui n’a pas d’idée préconçue à la base, qui part de ce schéma lavé, informel que tout le monde a un petit peu dans la tête mais surtout, tout part de l’oreiller, de quand je vais me lever, qu’est-ce que je vais voir ? Le samedi matin je vais pas travailler, je vais prendre le petit déjeuner avec ma famille et je voudrais qu’il y ait le rayon de soleil qui arrive sur ma théière. C’est ça une maison qui va de l’intérieur vers l’extérieur qui sera belle si elle reflète le bonheur des gens qui y habitent, une maison qui tirerait son élégance du bonheur intérieur et ça c’est fondamental. Ça peut paraître tout bête mais je crois que c’est quelque chose qui a été affreusement oublié et c’est ce qui fait aujourd’hui que nos campagnes, nos villes se remplissent de non-sens et que les gens sont malheureux. C’est une maison justement qui essaie simplement de remettre les compteurs à zéro, pas une maison démonstrative pour montrer à quel point je sais bien dessiner. C’est juste une maison qui essaie d’être honnête...